Les films sur les orpailleurs sont traditionnellement des documentaires. Le vôtre est une fiction. Pourquoi cette option ?
J'ai l'impression de pouvoir aller plus loin avec la fiction, de dépasser l'apparence des choses, de filmer l'invisible derrière le visible. Même en documentaire, une caméra ne filme jamais la réalité mais l'image de la réalité. Je ne voulais pas réaliser un film didactique sur l'orpaillage mais travailler sur les émotions, les silences, l'intériorité des personnages enfermés dans un espace sans fin.
Avec un style très épuré.
J'ai cherché la simplicité. Et je me suis rendu compte qu'il était très compliqué de faire simple. Plus on enlève et moins on peut se permettre de "fausse note". J'ai ainsi voulu réaliser un film très calme, très pur, tout en restant à distance respectueuse des personnages. Les images se soumettent au regard sans jamais affirmer. La caméra filme avec de longs plans larges et fixes un espace qui n'est autre que le temps. Le temps est pour moi la chose la plus précieuse. Et nous sommes en train de sacrifier cette richesse pour consommer toujours plus. Le rythme lent correspond également à une certaine réalité du nord du Sahel en période sèche. Quand la chaleur est écrasante, on devient plus économe en gestes et en paroles. Qui plus est, cette région du Burkina est dominée par la culture peule. Fatou est peule. Je me suis imprégné de son histoire et de sa culture pour en traduire le rythme, la dignité, la réserve et les silences.
Pourquoi ce titre : Rêves de poussière ?
Rêves d'or, rêves d'ailleurs dans un monde balayé par la poussière... Le titre exprime pour moi ce sentiment contradictoire dont je viens de parler : ce mélange d'espoir et de désespoir. Et puis il a à voir avec les thèmes principaux du film qui sont la séparation et l'attachement. L'ultime séparation étant la mort où l'on devient poussière. Et parfois, à travers la poussière, apparaissent des fantômes.
Parlez-nous du travail pénible des orpailleurs et des conditions de tournage dans cette zone aussi aride.
Nous avons tourné à l'extrême nord du Burkina Faso pendant la saison sèche aux mois de mai et juin. La température peut dépasser 50°C à l'ombre et il faut chercher l'ombre. Le pire se situe à l'intérieur des puits que les orpailleurs creusent avec de simples pioches pour remonter la roche aurifère. La chaleur et le taux d'humidité sont records. Le manque d'air est oppressant. Les orpailleurs passent une partie de leur journée dans les entrailles de la terre, avec les risques d'éboulements que cela comporte. Il faut un vrai courage, une vraie nécessité pour descendre travailler au fond des puits. Ils en remontent recouverts de boue. Ils ressemblent alors à des fantômes. Impossible d'y descendre une caméra avec une équipe de tournage et de l'éclairage. Nous avons donc construit plusieurs puits et une découpe pour recréer ce monde souterrain. Malgré tout, l'aventure du film n'a pas été simple pour l'équipe du film. Il y avait la chaleur comme je le précisais mais aussi la poussière, les problèmes d'approvisionnement en nourriture et surtout en eau. Au moment du tournage une société canadienne faisait des carottages pour analyser la teneur en or. Le bruit permanent empêchait l'équipe de dormir et le preneur de son s'arrachait les cheveux. Les habitations dans lesquelles nous dormions n'étaient pas adaptées comme peuvent l'être par exemple les huttes traditionnelles peules. Quand il y avait de l'eau, nous devions chasser les scorpions avant de nous laver. Une grande partie de l'équipe est tombée malade en plein tournage. J'ai moi-même eu la fièvre typhoïde.
Essakane change de visage. L’exploitation artisanale du minerai (l'orpaillage) y est aujourd'hui interdite et la mine est en cours d'industrialisation. Qu’en pensez-vous ?
C'est une question complexe qui résume bien la réalité économique de cette région du monde. Quand l'orpaillage était autorisé, les orpailleurs avaient du travail mais leurs conditions de vie étaient des plus pénibles. Maintenant que l'on sait qu'il y a une vraie richesse aurifère à Essakane, l'orpaillage est interdit et le site va devenir une mine industrielle exploitée par deux sociétés minières partenaires. Ces deux sociétés, l'une est canadienne et l'autre sud-africaine, sont cotées en bourse. Mais qui va travailler dans la nouvelle mine ? Probablement pas les orpailleurs. Dans le cas contraire, quelles seront les nouvelles conditions de travail ? Et où iront les gigantesques profits ?
Makena Diop a la réputation d’être un acteur tonique et très entreprenant. Comment avez-vous pu le diriger, pour qu’il s’adapte à ce point au rythme de votre film ?
Nous avons discuté du personnage avant le tournage et Makena est devenu Mocktar Dicko. Tout simplement. Pendant les prises bien sûr, mais également le reste du temps. Ce qui m'a permis de faire durer des plans, de le laisser "vivre" à l'image. J'avoue que j'avais du mal à couper. Comme nous tournions en numérique, un plan aurait pu durer une heure. Si nous avions eu plus de cinq semaines de tournage, j'aurais laissé la caméra tourner plus longtemps. La performance d'acteur ne m'intéresse pas. Je laisse ça aux sportifs. J'ai recherché une épure, une simplicité, pour ne laisser que la présence. Makena a été extraordinaire.
Dans les séquences panoramiques, avez-vous recruté des figurants pour les rôles secondaires, ou avez-vous fait appel aux vrais orpailleurs de la mine ?
Les orpailleurs se sont impliqués dans le film dès le début. Ils m'ont soutenu. Il étaient surpris que quelqu'un s'intéresse à eux, vive parmi eux. Je me suis senti redevable. Quoi qu'il arrive le film devait se faire. Je me suis accroché. Quand nous avons enfin eu les financements, je me suis posé la question du casting. Le rôle de Coumba avait été écrit pour ma compagne Fatou Tall-Salgues. Elle n'était pas actrice. Pour le groupe d'orpailleur, j'ai choisi des acteurs professionnels tout simplement parce que j'aurais trouvé faux de demander aux "vrais personnages" de rejouer les scènes de la vie quotidienne qui m'ont inspiré le film. Par contre, je voulais que les orpailleurs soient présents dans le film, présents à l'image. Une partie de la mine que j'ai connue a été détruite. Nous l'avons reconstruite. Depuis que la société canadienne est présente à Essakane, l'orpaillage est interdit. Les orpailleurs creusent donc clandestinement la nuit. Pour la période du tournage, ils ont eu l'autorisation de travailler. Quand je criais "coupez !", ils continuaient à chercher de l'or...
Le scénario n’a pas pris le risque de donner une suite à la convoitise naissante chez Mocktar Dicko pour la veuve Coumba. Cela aurait pourtant pu enrichir le film et apporter un peu de romantisme dans leur environnement aussi aride. Qu’en pensez-vous ?
Je ne voulais pas tomber dans le cliché. Certains me l'ont reproché. Ils attendaient de moi que je fasse rêver avec un couple qui s'embrasse devant les beaux paysages de la savane africaine, devant "l'exotisme" de l'Afrique. Je m'y suis refusé.
Ce qui explique la fin "non conventionnelle" du film ?
Dans le scénario, la fin était différente. Il s'agissait d'une fin "classique", c'est-à-dire fermée. C'est d'ailleurs cette fin que nous avons tournée. Au montage, nous avons trouvé le vrai rythme du film. Je souhaitais faire participer le spectateur, lui laisser le temps et l'espace pour construire sa propre histoire, ses propres images. Il devenait alors impossible de terminer le film comme prévu dans le scénario.
Votre film a été sélectionné dans une cinquantaine de festivals de par le monde (Venise, Sundance, Karlovy Vary, Cannes (ACID), Ouagadougou, Montréal, Durban, Göteborg, Shangaï, Melbourne, Oslo, Rio de Janeiro, San Luis..). Comment le film a-t-il été accueilli ?
Le film a été très bien accueilli. Ce qui est assez troublant, c'est que le public m'a, la plupart du temps, posé les mêmes questions... dans le même ordre. Au Festival de Karlovy Vary en Tchéquie, on m'avait prévenu qu'il était inutile de faire un débat, le public tchèque ne posant que très rarement des questions. J'ai quand même insisté. Le débat a duré presque deux heures. En France, les débats sont différents. Certains spectateurs ont un rapport plus affectif, voire passionné avec l'Afrique. Il y a toujours dans la salle un spectateur qui a eu l'expérience d'une certaine réalité africaine et qui ne comprend pas que celle présentée dans le film soit différente. Si je déplace la problématique en Europe, c'est un peu comme si je présentais un film se déroulant dans un village perdu au coeur de la Roumanie et qu'un spectateur me dise : "J'ai vécu dix ans à Paris et je peux vous dire que l'Europe, ce n'est pas comme ça !" Et l'Afrique fait trois fois la superficie de l'Europe. Personnellement, je crois qu'il n'y a pas une Afrique mais des Afriques. C'est un continent, un monde en soi où toutes les réalités se côtoient. Avec Rêves de poussière, je n'ai pas réalisé un film sur l'Afrique mais sur les orpailleurs d'Essakane.
Le film est essentiellement en langue française. Est-ce un choix ?
Essakane est un endroit particulier. Une étude a répertorié soixante-neuf langues et dialectes. La migration Sud-Sud est très importante. Le rêve de l'or attire beaucoup de monde. Résultat : le français est la principale langue véhiculaire. Mais je tenais à montrer cette richesse linguistique, c'est pour cela que j'ai inséré des dialogues en fulfuldé (langue des peuls) dans le film. Quand Coumba sort de ses gonds au moment de l'accident, il me paraissait évident qu'elle allait s'exprimer dans sa langue natale. D'autre part, ayant obtenu l'avance sur recettes du CNC, le film se devait d'être majoritairement en français.
Entre un projet et sa réalisation, il y a parfois un fossé. Avez-vous le sentiment d’avoir fait un film qui correspond à ce que vous aviez envisagé ou imaginé ?
Chaque étape dans le long processus de création d'un film remet en question l'étape précédente. Le film est une matière vivante. J'ai fait en sorte que chaque obstacle, et ils ont été nombreux, vienne nourrir le film. Sans ces obstacles le film aurait été différent, mais ça ne veut pas dire qu'il aurait été meilleur. Le réalisateur est là pour maintenir le cap malgré les chemins de traverse que le film est obligé d'arpenter. Et au bout du voyage, il accouche d'un film. Le moteur, c'est le désir. J'ai imaginé plusieurs films mais je n'en désirais qu'un seul : Rêves de poussière.